La tragédie de Capitaine Crochet

 

Peter Pan. On connaît tous. Ce petit qui vit dans un monde où on refuse de grandir. Mais avant de se souvenir qui il était, il était devenu un adulte blasé, mécanique ; un capitaine crochet des temps modernes.

Il faut se souvenir d’où on vient , pour savoir qui on est. Il est fort probable qu’on a presque tout oublié de notre enfance. Si on s’en est bien sorti, quelques souvenirs flous ou parsemés de clarté ont réussi à survivre dans notre esprit. Comme l’odeur de la cuisine, la douceur de la peau de ma mère, les visites saisonnières chez ma tante Camille, cette bicyclette à banc de banane, le lichen sur les roches dans le Grand Nord, le dentier de grand-maman Suzanne, ces pingouins de plastique loués pour mon cinquième anniversaire, les framboises de la ruelle Cadillac, les speeches de mon père, mes doigts entre les yeux des poissons frais pêchés.

Le problème c’est si on a oublié les souvenirs à notre propre sujet. La plupart d’entre nous ont oublié ce qu’enfant, on aimait vraiment. Ce qu’on passait notre temps à faire, ce qui faisait passer nos journées entières comme un éclair.

Rien ne sert d’être nostalgique. Hier perd beaucoup de son importance devant aujourd’hui. Mais ce que nous aimions en revanche, l’est vraiment. On doit accorder du sérieux à cette identité, qu’on a peut-être laissé fuir entre la vie, et ses aiguilles battantes au sens horaire.

La recherche, c’est environ avant 8 ans. Après, tu commences à te faire «des accroires». Après t’oublies presque tout de quand t’avais en bas de 8 ans…

Petite, j’aimais le papier à lettre, je les collectionnais. Je me souviens de celui avec les rebords brodés, imprégné d’une senteur de parfum de fleurs. J’aimais écrire, j’avais des petits livres,  dans lesquels j’écrivais des poèmes, qui sont devenus des chansons, qui sont devenus des journaux de bord. Je m’étais fait une petite table en foam blanc, sur laquelle j’avais déposé des prières, un lampion, et quelques objets précieux. Le soir avant de me coucher, je m’agenouillais devant mon autel et je récitais mes chapelets. Je passais ma vie dehors, j’aimais aller dans le bois, marcher, collectionner les roches qu’on laisse dans ses poches, les lancer dans le ruisseau, cueillir les fleurs, avoir peur de ces fruits rouges qui empoisonnaient les serpents, me faire un monde imaginaire dans cette cabane, dans l’arbre, jamais construite. J’aimais faire ma chambre, la décorer, déplacer les meubles. J’aimais la lecture. Je lisais tout ce que j’avais sous la main, y compris les emballages des dentifrices et les étiquettes de shampoing. J’aimais rire, m’asseoir à table et regarder les oncles avec une cigarette fumante jouer aux cartes, entendre les histoires des éveillés, moi, couchée dans la chambre d’à côté. Partir à l’aventure dans le quartier ou dans notre champ en guise de cour arrière. Quand j’allais à la toilette, je m’imaginais parlant devant un auditoire, je faisais comme si on m’interviewait. Je racontais n’importe quoi. Mais je parlais, et on m’écoutait.

Tout ça… j’avais oublié. C’est ça la tragédie. Mon Peter Pan était tombé dans l’oubli.  Capitaine Crochet était rendu trop fort. Ça m’est revenu après avoir mis au monde mon fils qui, chaque jour, m’offre le précieux cadeau de replonger dans l’univers de l’enfance. Son monde imprégné de liberté, de découvertes, de vulnérabilité et d’innocence.

Les souvenirs réveillés m’ont aidée. Tantôt à me dire que j’étais sur la bonne voie, tantôt à me dire que j’avais pris le champ. Ça m’a aidée à recommencer à écrire, ça m’a aidée à comprendre que l’autre avait beaucoup d’importance pour moi. Que la nature, je devais m’y aventurer plus souvent, que je devrais peut-être un jour orchestrer une conférence tel que promis, que je devais conserver les rituels qui me définissent, et pourquoi pas bâtir cette maison imaginaire au travers les branches.

Dans ces trouvailles, y’a pas d’égo. Y’a juste le petit(e) en vous qui sommeille. Qui meurt d’envie de revoir le lever du soleil.

Ce sont des choses simples qui font qui on est. Et ce sont les choses simples qui font que la vie vaut la peine d’être vécue. On n’est pas tous destiné à être un génie qui change le cours de l’histoire, mais on est tous destiné à être qui on est vraiment.

Cherchez et vous trouverez; si vous avez envie de fouiller. Ensuite mettez en lumière les amours de cet enfant que vous étiez. Peut-être qu’un beau jour, votre Peter Pan vaincra votre Capitaine Crochet , et que vous recommencerez à vous amuser, comme dans ce lac couvert de nénufars un soir d’été.

Les temps ont changé, mais pas ce dont on a besoin pour s’exclamer de bonheur et être frappé par la joie.

Caroline xx